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INTERVIEW- Hugues De Bazelaire, tailleur de pierre

Catégorie

Interviews

Date de parution

22/06/2023

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Cet entretien fait partie d’une série d’interviews réalisées auprès d’artisans européens en collaboration avec FRH, le réseau européen du patrimoine religieux, et Mad’in Europe, le réseau des métiers d’art et de restauration du patrimoine culturel en Europe.

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Nouvelle taille en calcaire de deux lions monumentaux devant le château de Buthiers, Doubs.© Mad’in Europe/Hugues de Bazelaire

1. Pouvez-vous vous présenter (profession, domaine d’expertise et années d’expérience).

HDB: Je m’appelle Hugues de Bazelaire. Je suis conservateur-restaurateur, tailleur et sculpteur de pierre depuis plus de 50 ans. Je suis spécialisé dans l’architecture et la sculpture monumentale.

Étant fils et petit-fils d’architecte, j’étais toujours très intéressé par le bâtiment historique. J’ai d’abord été embauché comme maçon puis je me suis spécialisé dans le travail de la pierre. Je faisais de l’appareillage, c’est-à-dire l’assemblage des pierres d’un bâtiment, de la stéréotomie mais aussi de la sculpture dans les églises. Je fais aussi beaucoup d’expertise, ce qui revient à établir des constats d’état d’une œuvre en listant les choses à faire et à ne pas faire.

2. Avec quels clients/marchés travaillez-vous (sont-ils locaux, nationaux ou internationaux) ? À quels besoins votre travail répond-il généralement ? Quelles sont les compétences et certifications requises que vos clients demandent ?

HDB: Mes clients sont peuvent être privés comme publics. Je vais là où il y a un besoin. J’ai beaucoup travaillé pour Le Louvre où j’ai déplacé 2 grands portails « Renaissance » et réalisé une étude archéologique, ce qui signifie rechercher les matériaux utilisés, leur provenance mais aussi la technique utilisée. J’ai aussi beaucoup travaillé pour le domaine de Versailles. 

3.Pourriez-vous expliquer brièvement en quoi votre profession est liée au patrimoine religieux et/ou au patrimoine culturel.

HDB: La moitié de mon temps est consacrée au patrimoine religieux. Je travaille actuellement à la Chapelle Royale de Dreux où j’ai été chargée de mettre à l’abris une statue de Saint Louis qui était très abimée.

J’ai travaillé sur différents patrimoines religieux dont une mosquée au Yémen avant la Guerre du Golfe et j’ai aussi travaillé bénévolement en tant que consultant pour la synagogue de Versailles.

Restauration des stucs d’une mosquée du XIIe siècle au Yémen© Mad’in Europe/Hugues de Bazelaire

4. Veuillez décrire les principales étapes de votre processus de travail habituel et les matériaux que vous utilisez le plus.

HDB: J’utilise surtout des matériaux naturels : la pierre, les marbres, l’argile, tout ce qu’on trouve donc dans la nature. J’utilise aussi des matériaux transformés : la terre cuite, les colles et les métaux pour la restauration d’instruments en cuivre et en laiton. J’essaye d’utiliser le plus possible des pierres locales, des pierres dures.

J’utilise d’autres matériaux liés au traitement des œuvres c’est-à-dire des biocides pour tuer les mousses, les lichens et autres bactéries qui abîment la pierre. J’utilise également le laser pour nettoyer les œuvres. Tous ces matériaux sont adaptés à l’usage qui en est fait, c’est ce qui est important.

Pour ce qu’il en est de mon processus de travail, je commence tout d’abord par examiner l’œuvre pour en déterminer l’état. Le reste de mon travail consiste à trouver un moyen de redonner vie à l’œuvre et voir même la multiplier. L’étendue de mon travail est telle que je ne peux définir des étapes fixes. Cela varie beaucoup d’un travail à l’autre : cela peut aller de la repatine au nettoyage ou la refonte. 

5. Collaborez-vous régulièrement avec des professionnels de l’artisanat d’autres domaines ? Si oui, pouvez-vous expliquer lesquelles et pourquoi ?

HDB: Quand un travail sort de mon domaine de compétence, je fais appel à d’autres artisans plus compétents par exemple à des collègues restaurateurs de tableaux. Il est possible qu’il y ait parfois des groupements c’est-à-dire qu’on s’unit avec plusieurs collègues pour un marché. Je travaille aussi en étroite collaboration avec les archéologues et les historiens d’art

6.Veuillez mentionner toute innovation ayant contribué à améliorer votre travail (technologique, numérique, matérielle, juridique…) et expliquer l’impact qu’elle a eu sur votre métier.

HDB: J’ai appris à Venise, au Centre Européen de formation des artisans du patrimoine architectural, à faire de la copie à la mise au point, c’est-à-dire chercher des points sur une sculpture avec des appareils à aiguille. Actuellement nous réalisons aussi des relevés 3D, pilotés par des machines capables de tailler la pierre. Mais les finitions sont tout de même réalisées par le sculpteur. Les imprimantes 3D permettent aussi de reproduire des réductions ou encore de la reconstitution en réalité virtuelle.

Il y a quelque temps, j’ai également participé au développement d’un laser utilisé pour nettoyer les œuvres. Cette innovation a permis à mes collègues de nettoyer les plans-reliefs des Invalides à Paris, par exemple. Ce type d’innovation a été rendu possible grâce à une étroite collaboration avec les ingénieurs des Musées de France et du Laboratoire de recherche des monuments historiques de Champs-sur-Marne.

Les méthodes traditionnelles, vieilles de 2500 ans ont tout de même l’avantage de coûter moins cher que les nouvelles, qui dépendent de l’informatique.

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Taille d’un balustre. © Mad’in Europe/Hugues de Bazelaire

7. Comment avez-vous appris le métier ? Pouvez-vous détailler votre parcours d’apprentissage en mentionnant les écoles et ateliers où vous avez été formé/e?

HDB: Sur le plan technique j’ai fait un CAP de maçon en monuments historiques. Mais je suis avant tout issu d’une famille où l’art est essentiel, chacun étant très attaché au travail manuel. À la suite de mon CAP, je me suis formé à la taille de la pierre. Je réalisais également beaucoup de dessins.

Puis, j’ai passé des diplômes de Master à Paris 1 Panthéon Sorbonne

J’ai beaucoup appris sur le terrain. Je n’ai cessé de continuer ma formation tout en travaillant, comme par exemple à l’institut français de restauration des œuvres d’art où j’ai suivi des cours.

8. Transmettez-vous vos compétences aux jeunes ? Si oui, comment ? Dans les écoles, par le biais d’ateliers… ?

HDB: J’ai énormément transmis aux jeunes au cours de ma carrière et continue toujours à le faire. J’ai par exemple fait des classes de patrimoine dans des collèges et lycées.

J’ai également été professeure de sculpture à Arras, où j’enseignais la création de la sculpture mais aussi le modelage.
Je reçois également beaucoup de stagiaires dans mon atelier, entre 4 et 6 par an.

9. Que conseilleriez-vous à un/e jeune intéressé par votre métier ? Quelles sont les opportunités et les domaines dans lesquels ils peuvent travailler avec vos compétences ?

HDB: Beaucoup de jeunes ont une formation en Histoire de l’art et donc une attention particulière au patrimoine. Cependant il leur manque parfois un enseignement sur l’histoire des techniques, ce qui ne doit pas être négligé.

Je leur conseille également de faire attention aux appels d’offres piégeux qui peuvent se présenter au cours de leur carrière. Mon métier demeure malgré tout un métier où on ne s’ennuie jamais tant il y a de défis à relever. C’est un métier essentiel, qui revêt quasiment de la dimension paramédicale puisque l’on traite les œuvres, on les soigne pour les maladies qu’elles ont.

10. Quelles sont les menaces qui peuvent mettre en danger votre profession ? Pouvez-vous mentionner certaines difficultés associées à votre travail ? Quelles pourraient être les solutions pour mieux accompagner votre métier et préserver la transmission des compétences ?

HDB: Le travailleur individuel est en danger puisqu’il peine à rivaliser contre les grosses entreprises. Ces entreprises achètent les matières premières à des prix en gros, ce qui leur permet d’avoir des prix beaucoup plus compétitifs que les travailleurs indépendants. Le prix de la pierre tue le métier car il augmente considérablement le prix de revient. Les entreprises deviennent donc de plus en plus des grosses structures avec des moyens économiques considérables, qui menacent les petites carrières en les rachetant.

La diminution des carrières entraîne par conséquent une diminution de la qualité et de la diversité des pierres qu’on peut trouver.

Je demeure tout de même optimiste pour le métier de tailleur de pierre. Depuis une vingtaine d’années on constate un renouveau des métiers traditionnels, grâce aux possibilités des matériaux pierreux dans tous les domaines de la création.

Vous pouvez en savoir plus sur Hugues De Bazelaire sur son profil mais aussi sur Facebook et LinkedIn.

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