Une technique ancienne pour une construction plus responsable
DE Andra Ritisan & Charlotte Pierre
L’Homme a toujours cherché à aller de l’avant, à progresser et à évoluer. Pourtant, l’innovation et le progrès n’ont pas toujours été au diapason. Dans de nombreux cas, y compris dans le secteur de la construction, le désir d’innover a parfois entraîné de graves dommages à l’environnement par l’exploitation déraisonnable des ressources naturelles, avec ses effets néfastes qui en découlent sur le climat. C’est pourquoi l’un des grands défis actuels est de continuer à innover, mais avec une vision plus durable et respectueuse de l’environnement.
Ce défi rejoint celui du nouveau programme lancé par la Commission Européenne : le New European Bauhaus (le Nouveau Bauhaus Européen). Ce dernier est « une initiative créative et interdisciplinaire qui crée un espace de rencontre pour concevoir de futurs modes de vie, à la croisée des chemins entre l’art, la culture, l’inclusion sociale, la science et la technologie. Il rapproche le pacte vert de nos lieux de vie et appelle à un effort collectif pour imaginer et construire un avenir durable, inclusif et esthétique, pour le cœur et l’esprit. » (https://europa.eu/new-european-bauhaus/index_fr)
Chez Mad’in Europe, nous sommes convaincus que pour aller de l’avant, il est souvent bien utile de s’appuyer sur le passé. Il y a quelques années, dans le domaine de l’architecture vernaculaire, les bâtiments étaient toujours conçus en fonction du climat, des traditions locales, et de la disponibilité des matériaux. Par conséquent, ces constructions consommaient moins d’énergie tout en protégeant l’écosystème. En plus, elles respectaient les aspects culturel et esthétique qui font partie de notre identité. C’est pour toutes ces raisons que nous croyons fermement que les réponses face aux problèmes d’aujourd’hui se trouvent dans la sagesse ancestrale et les connaissances séculaires de notre passé.
Le 23 novembre, Mad’in Europe a eu l’immense plaisir d’organiser un webinaire (un séminaire en ligne), qui sera le premier d’une longue série. Ce webinaire traitait des techniques de construction traditionnelles de la voûte sarrasine, mieux connue sous le nom de « voûte catalane ».
Cette technique consiste à recouvrir une enceinte de briques afin de former une voûte ou une arche. Les briques sont assemblées côte à côte, contrairement à l’usage usuel. La voûte sarrasine présente un avantage indéniable : elle ne nécessite que deux matériaux, de l’argile, pour fabriquer les briques, et un liant pour les assembler, comme du plâtre ou du mortier.
See the presentation made at our webinar on Bóveda Catalana
La voûte catalane. Enracinée dans la culture méditerranéenne, cette technique de construction remonte à l’Antiquité. Les Arabes et les Romains utilisaient des techniques de construction similaires. La construction de ce genre de voûte devint monnaie courante durant le 14ème siècle, en Espagne, et se répandit tout particulièrement au 18ème siècle, à Valence. Mais c’est le mouvement moderniste, à la fin du 19ème siècle, qui lui fit connaître son heure de gloire. De plus, d’illustres architectes comme Antoni Gaudí, Domènech i Montaner ou le Valencien Rafaël Guastavino, qui a exporté ce savoir-faire aux États-Unis, l’ont largement utilisée dans leurs créations. En effet, la voûte sarrasine permettait de couvrir de grands espaces et était souvent utilisée pour façonner les toits des usines textiles, des entrepôts, des caves, etc. sans devoir recourir à d’autres structures portantes.
Plus récemment, ce défi a été celui de Carlos Martín et des architectes Silvia Paredes et Ana Agag lors de la réalisation des caves de Valdemonjas, projet qui a obtenu le prix Architizer A+ en 2016.
Malheureusement, au cours des décennies suivantes, la voûte sarrasine a peu à peu perdu de sa popularité. C’est grâce au travail acharné de maîtres d’œuvre que cette technique n’a pas été oubliée. Salvador Gomis Aviño à Valence, Jordi Domènech Brunet en Catalogne, et Carlos Martín et Julio Jésus Palomino Anguí près de Madrid en sont quelques exemples. Ils partagent leurs connaissances et leur savoir-faire technique sur la voûte catalane en organisant des séminaires, des congrès, et des formations dans des centres éducatifs. Si les jeunes générations ne prennent pas rapidement conscience de l’importance de cette technique, cette tradition pourrait disparaître.
De nos jours, cette technique séculaire est remise au goût du jour grâce à notre besoin croissant de solutions durables, de faible consommation d’énergie et d’utilisation des ressources locales, et grâce également aux professionnels comme les intervenants qui ont participé à notre webinaire.
Carlos Martín Jimenez, travaille activement dans la recherche et le développement de la restauration des voûtes de toutes sortes ! Il enseigne par ailleurs son savoir aussi bien lors de conférences que sur le terrain, avec ses apprentis. On doit également à Carlos Martín la réalisation d’un projet conçu par la Fondation Norman Foster pour la biennale de Venise en 2016.
« Le grand avantage de la voûte sarrasine est qu’il est possible de la réaliser même là où les ressources sont rares puisque nous n’avons besoin que d’argile pour fabriquer les briques et d’un liant pour les assembler, comme du plâtre ou du mortier…. Le nom que nous donnons à la voûte définit sa forme, dans certains cas, et la technique utilisée pour la construire s’en charge dans d’autres cas. Ainsi, lorsque nous parlons d’une voûte cloisonnée, nous décrivons une technique et lorsque nous parlons d’une voûte à calotte sphérique [par exemple], nous faisons référence à la forme sans préciser la technique utilisée.». ”(Jordi Domenech Brunet)
« Cette technique de construction présente de nombreux avantages, le principal étant son atout économique car elle permet d’économiser du matériel et des moyens, puisqu’on n’utilise pas de coffrage. Un autre avantage est sa légèreté par rapport à sa capacité de charge, ce qui la différencie grandement des autres techniques. Et enfin, sa capacité illimitée à générer toutes sortes de formes géométriques et esthétiques.» (Juan Bube)
Grâce à notre webinaire, nous avons pu en apprendre davantage sur les usages et les avantages de la voûte sarrasine auprès de Salvador Gomis Aviño. Ce maître d’œuvre perpétue cette technique artisanale en voie de disparition en la conjuguant à de nouveaux matériaux et techniques pour créer d’authentiques œuvres d’art !
Avec l’aide de la jeune architecte Constanza Tenboury, nous avons pu visualiser comment l’architecture contemporaine aborde cette technique ancestrale, en concevant des projets dans lesquels la tradition et l’artisanat vont de pair avec l’avant-gardisme et l’innovation. Nous avons également pu contempler les possibilités esthétiques de la voûte sarrasine dans l’architecture contemporaine.
Nous avons compté sur la participation de Fernando Vegas et Camilla Mileto, professeurs d’architecture à l’Université Polytechnique de Valence (UPV) et créateurs du groupe de recherche Res-Arquitectura. Ces deux professeurs et architectes se consacrent à la préservation et à la diffusion du savoir sur le patrimoine architectural traditionnel, ils prônent également l’utilisation de la voûte sarrasine. En effet, ils défendent sa valeur immatérielle en tant que technique de construction artisanale qui recourt à des matériaux traditionnels ainsi que sa durabilité, due à sa faible consommation d’énergie, soulignant également ses avantages économiques.
Enfin, comme nous voulions découvrir le processus de création de la voûte de A à Z, nous avions parmi nous le fournisseur de matériaux durables Juan Antonio Alemán, de l’entreprise éponyme, fournisseur de briques artisanales faites à la main. Grâce à lui, nous avons pu découvrir l’essence même de la voûte sarrasine.
Photos :J.A.Alemàn
Pour reprendre les objectifs du New European Bauhaus, nous devons tous ensemble nous tenir informés et agir de manière plus responsable afin de construire un futur durable. Il est d’autant plus nécessaire de prendre ces mesures maintenant tant qu’il existe encore des artisans capables d’exploiter ces techniques traditionnelles.
Tous ensemble, nous pouvons contribuer à sauver ces techniques. À nous de jouer !
Un peu de lecture :
- De terre et de lumière les maisons à coupoles du nord de la Syrie (2011) Editions Al Ayn de Houda Kassatly
- Biography of Guastavino – Javier Moro: A prueba de Fuego
- Origen de la bóveda tabicada, Manuel Fortea Luna, Centro de Oficios de Zafra, 2008
- Brique et architecture dans l’Espagne médiévale (XIIe-XVe siècle) – De Philippe Araguas – Casa de Velásquez, 2003
- Construcción de bóvedas tabicadas – Ángel Truñó – Instituto Juan de Herrera – 2004
- De terre et de lumière les maisons à coupoles du nord de la Syrie (2011) Editions Al Ayn de Houda Kassatly
- Biografía de Guastavino – Javier Moro – A prueba de Fuego
Si vous voulez en apprendre davantage, suivez les liens de artisans sur la marge de l’article.